01/12 ▒ SOCIÉTÉ ▒ Pièges homophobes : nouveau phénomène de société ?

Piéger un homosexuel par l’intermédiaire d’une application de rencontres, afin de le détrousser, l’insulter, le frapper, voire pire, est une pratique devenue courante.

À tel point que des dizaines de victimes sont dénombrées chaque année en France. 

Les guets-apens homophobes seraient donc un nouveau phénomène de société ?

C’est en descendant dans cette cave parisienne qu’il a compris. 

Plafond bas, sol en terre battue, portes en bois vermoulu.

Que venaient-ils faire là ? 

Florent était consentant pour une relation sexuelle furtive.

Sauf que ça devait se passer dans un appartement.

"En fait, nous sommes dans ce cul-de-sac glauque. Il est derrière moi, je me retourne et, là, je le vois : il a sorti un hachoir de boucher. Je me dis qu’il va me violer et me tuer ici, que personne ne va me trouver. Je suis pétrifié".

"Si tu cries, je t’égorge" lance l’individu, qui lui demande de vider ses poches. 

Pendant de longues minutes, l’homme fixe le vide en aiguisant sa lame contre le mur. 

Puis, il part. 

Florent retient son souffle et sort à son tour.

En état de choc.

Il vient d'être victime d’un guet-apens homophobe. 

Comme c'est le cas d'un homosexuel chaque semaine, selon une enquête.

Si lui s’en tire bien physiquement, il apprendra plus tard que son agresseur a fait trois victimes dans une escalade de violence qui aura duré une dizaine de jours. 

L’affaire a été jugée en septembre 2024 et rejugée en appel cette semaine.

Dans le cas de Florent, le piège s’est refermé après avoir utilisé "Coco.gg", site dédié à des rencontres homosexuelles.

C’est sur ce site que Dominique Pelicot donnait rendez-vous aux violeurs de son épouse, Gisèle.

Ce site n’existant plus, les agresseurs d’homosexuels continuent de "chasser" sur d’autres applications comme "Grindr", "Tinder" ou encore "Lespompeurs.com".

Les échanges y sont directs et rapides.

On se fixe un rendez-vous et c'est parti.

"Tout avait l’air normal. Sa photo n’était pas suspecte. On devait se rencontrer dans un parc. Il y avait du monde, des familles" se souvient Luc Di Gallo, élu de Montreuil en Seine-Saint-Denis. 

Il sera tabassé par quatre personnes surgies de derrière les arbres, détroussé de ses deux portables et cartes bancaires. 

Ses agresseurs ne seront pas retrouvés. 

Dans les coins sombres d’un parc, d’un hall d’immeuble, parfois chez la victime elle-même, des homosexuels se retrouvent mis à terre, frappés et insultés.

Le plus souvent par plusieurs individus.

Et ce scénario se répète partout en France.

En ville comme à la campagne. 

Avec une récurrence qui interroge.

Phénomène d’imitation, effet d’aubaine autour d’un processus jugé efficace, homophobie grandissante ?

En février 2025, Heddy est violemment agressé.

"Il serrait mon cou légèrement pour que je puisse quand même parler. Mais, comme je refusais de donner mon portable, il a serré davantage. J’ai été asphyxié et j’ai perdu connaissance. Je me suis réveillé en sang, je saignais à la tête, j’avais la mâchoire abîmée, très mal au coccyx et un trou de mémoire".

Sur sa photo, l’homme avec qui il avait rendez-vous était un "Monsieur Tout-le-Monde".

Cibler un individu en raison de son orientation sexuelle est une circonstance aggravante qui augmente la durée de la peine encourue en cas d’agression.

"Il est impossible de sonder les cœurs pour connaître les motivations profondes des auteurs de ces agressions" explique l’avocate de Florent.

"Dès lors que toutes les victimes sont homosexuelles et ont été approchées par des applications qui leur sont destinées, la circonstance aggravante est retenue".

Ceci dit, compliqué de faire la part des choses entre l’agression crapuleuse, destinée à détrousser la victime, et la pure haine homophobe. 

Souvent, les deux sont présentes.

Les agresseurs dérobent le téléphone, l’argent, les cartes bancaires, effectuent des retraits.

Et se déchaînent. 

"Lorsqu’il y a une infraction homophobe, on constate une surviolence contre la victime" analyse Étienne Deshoulières, avocat de l’association, "Stop Homophobie". 

"La victime se fait vraiment casser la gueule. L’agresseur lui marche dessus une fois à terre".

Au-delà de la violence pour extorsion, il y a une volonté supplémentaire d’humilier.

"Les violences peuvent être extrêmes" confirme Flora Bolter, codirectrice de l’Observatoire LGBT de la "Fondation Jean-Jaurès".

"Outre le racket et les insultes, des personnes nous ont signalé des séquestrations".

"Les auteurs visent des hommes qu’ils présument plus faibles, selon les clichés homophobes. Ils sont aussi perçus comme riches, se baladant avec des objets de valeur, plus mobiles et moins méfiants" analyse Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocat de "Stop Homophobie".

"Quelqu’un nous a raconté avoir entendu des jeunes dans un café, bravaches, se vanter d’organiser régulièrement des guets-apens" ajoute Flora Bolter. 

"L’argumentaire est : il est gay, donc inférieur. Donc, j’ai le droit, ce n’est pas grave. Il n’ira pas porter plainte, car il a honte".

En effet, les préjugés restent vivaces, comme le montre cette autre motivation relevée chez certains agresseurs.

La soi-disant "chasse aux pédophiles". 

De pseudo-justiciers prétextant traquer des pédocriminels imaginaires.

S’il n’est pas rare que les agresseurs cherchent à faire chanter les victimes, celles-ci n'hésitent plus à aller porter plainte.

Même si le nombre reste encore faible.

Avec des totems qui ont le vie dure.

Crainte de l’accueil : même si les services de police et de gendarmerie sont sensibilisés à cette circonstance aggravante.

Crainte du jugement : recours aux sites de rencontres, facilité des rendez-vous.

Selon certains experts, ce serait leur propre homosexualité refoulée que les auteurs d’agression voudraient combattre en s’en prenant à ceux qui la vivent à ciel ouvert.

"J’ai traité 200 dossiers au pénal à composante homophobe. Une fois sur deux, le moteur de cette violence est le rejet de sa propre homosexualité. Ce dont on se rend compte dans l’exploitation du téléphone de l’auteur" explique Étienne Deshoulières.

Ce que confirment de nombreuses études.

Les auteurs sont souvent très jeunes, voire mineurs.

Reste que, quelque soit l'âge, les victimes décrivent toutes les mêmes lourdes conséquences psychologiques. 

La peur subsiste.

Certains en viennent à ne plus vivre la même paix qu’auparavant avec leur orientation sexuelle jusque-là assumée. 

Florent n’a pas expliqué à ses parents dans quel contexte il avait été agressé dans cette cave parisienne.

Pas envie de raconter son intimité, pas envie de culpabiliser encore.

"Avant, je m’habillais très coloré. Maintenant, je suis en gris tout le temps. Et je reste dans mon sofa, alors que j’étais le premier à vouloir sortir. Je ne suis plus retourné sur une appli. Je n’ai plus confiance en personne" conclut-il.

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