03/11 ▒ SUISSE ▒ Malgré les avancées légales, l'homophobie est toujours là...

Depuis cinq ans, les droits des LGBT progressent en Suisse. 

En 2020, le pays approuvait le renforcement de l’arsenal légal pour lutter contre l’homophobie.

En 2022, le mariage homosexuel est entré en vigueur.

Pourtant, les signalements d’actes de haine homophobe ont explosé ces dernières années.

Une tendance illustrée par les témoignages de ceux qui subissent ces discriminations et cette haine.

"Je n’avais pas le droit d’entrer dans la banque qui m’employait avec un sac aux couleurs LGBT".

Marc a 27 ans. 

"Lors d’un entretien avec mon chef, il me lance : vous dites que vous n'êtes pas à l'aise avec des hommes. Pourtant, dans la vie privée, c'est bien des hommes que vous draguez ?".

Face à cet exemple, Aymeric Dallinge, specialiste des discriminations en Suisse, pointe une attitude typiquement helvétique.

"C'est la tolérance de principe. Les Suisses soutiennent majoritairement l'égalité dans les urnes, mais peuvent vivre une forme de dissonance entre leurs valeurs et leur comportement social. On accepte le principe, mais on reste mal à l'aise face à des manifestations concrètes. Comme un collègue arborant un sac aux couleurs arc-en-ciel".

Jean a 30 ans.

Il ne compte plus les fois où il a été victime de haine homophobe.

"Il y a trois ans, je buvais un verre devant un bar, à Lausanne, quand des personnes qui passaient en voiture m'ont traité de pédé. Une autre fois, lors de la Pride de Zurich, je me suis fait arracher le drapeau LGBT que je portais sur le dos. Une personne, qui faisait partie d’un groupe de jeunes, me l’a pris avant de le piétiner".

Au début de cette année, il participait à une soirée queer sur le thème des années 80.

"Je portais un t-shirt court et un short en jeans qui montrait mes cuisses. Comme cela se faisait à l’époque. Dans le train qui me menait à la fête, plusieurs personnes se sont moquées de moi, puis m'ont traité de pédé. Ensuite, en sortant du métro, un homme a pris la main d'un ami à lui et la poser sur mes fesses".

"La Suisse a, entre 2020 et 2025, rattrapé un certain retard législatif par rapport à ses voisins européens" rappelle Aymeric Dallinge. 

"Cette accélération a pu créer une forme de crispation et lasser certaines personnes. Elles ont pu avoir l’impression qu’on ne parlait que de ça. Mais, on aurait tort de dire que tout le monde devient intolérant. Je ne pense pas que ce soit le cas. Il faut noter les scores écrasants en faveur des droits LGBT lors des récentes votations".

Il rattache la violence actuelle à un "groupe de personnes qui se radicalisent dans un contexte de polarisation mondiale des idées et des opinions. Une minorité qui s'attaque souvent aux symboles".

Le pire est que la discrimination n’attend pas le nombre des années.

Julien l’a subie dès ses 13 ans.

"J'étais assez efféminé et comme je traînais toujours avec des filles, à chaque fois que je passais dans les couloirs, une bande de garçons, toujours les mêmes, me criaient : Sale pédé ! Pédé ! Pédé ! Pédé !".

Tous les matins, les insultes pleuvaient.

"Pour affronter cette violence, j’ai fini par la banaliser en intégrant ces injures à mon quotidien. Mais, elles finissaient par m’atteindre. Comme je me questionnais sur ma sexualité sans parvenir à comprendre ou assumer ce que je ressentais, j'avais l'impression que ces garçons avaient vu clair, qu’ils avaient raison. C’était vraiment très dur. Ce n’est que lorsque j’ai acce+pté qui j’étais que j’ai pu me défaire de cette culpabilité".

Ceci dit, encore aujourd'hui, alors qu'il a 25 ans, la peur de la violence homophobe persiste.

"En fonction de la ville ou de la rue dans laquelle je me promène, je suis sur le qui-vive. J’évite d’afficher mon orientation sexuelle comme une pancarte sur mon front, de crainte que cela puisse engendrer des réactions".

L'été dernier, lors d'un festival, sa tenue déclenche des commentaires hostiles.

"J’ai croisé trois hommes, âgés de 40-50 ans, qui se sont exclamés en me voyant : Mon Dieu, nous sommes perdus ! Le Valais, c’est vraiment plus ce que c’était".

Julien n’a pas porté plainte.

"Je me dis qu’il y a des choses bien plus graves. J’aurais l’impression d’embêter la police, si j’allais les voir parce que quelqu’un me dit : sale pédé ou sale gay dans la rue. Et puis, je ne me sentirait pas forcément à l’aise face à des hommes. Si je dois un jour le faire, je demanderais à parler à une femme. Parce que l’homophobie est une affaire d’hommes, qui se sentent menacés dans leur masculinité par des personnes qui, comme moi, remettent en question les schémas traditionnels".

"De fait, le taux de dénonciation des mots et actes discriminants reste très bas. En cause, la méfiance envers les forces de l’ordre. Historiquement, le corps de police et la population LGBT étaient opposés" rappelle Aymeric Dallinge.

Aujourd’hui, dans chaque canton suisse, des formations sont dispensées au corps de police pour les sensibiliser aux réalités de ce que vivent les LGBT.

"Pour les lesbiennes, la situation est un peu différente" estiment Joëlle et Marie, en couple depuis deux ans.

"Je n'aime pas trop tenir la main de Marie en public. Je reoute des questions intimes et inappropriées, qu’on ne poserait pas à un couple hétérosexuel".

Les deux jeunes femmes savent bien ce qui motive cette curiosité.

"C'est le fantasme des hétéros de base pour deux femmes qui s'aiment. Cela m’est déjà arrivé qu’on me demande comment ça se passe quand il n’y a pas d’hommes, des trucs comme ça" explique Joëlle.

L'oubli de l'identité de genre dans la loi de 2020 apparaît comme une lacune évidente aujourd'hui.

"Il faut agir sur la loi, comme on l'a fait jusqu'à présent. Mais, en parallèle, on doit aussi agir sur les réalités sociales" insiste Aymeric Dallinge.

"Cela doit passer par des politiques publiques ambitieuses, dotées de plans d'action et de projets concrets qui permettent d'aligner le rythme de la société sur celui de la loi et de nouer le dialogue différemment en remettant l'humain au centre, au-delà des symboles" conclut-il.

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