27/02 ▒ SOCIÉTÉ ▒ Et vous ? Overdose ou pas ?

Tous les quinze jours, Pauline débranche. 

Elle reste trois ou quatre jours sans actualité.

Comme on met son téléphone sur mode avion.

"Entre le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine et au Proche-Orient, la montée des idées fascistes en Occident, c'est ce que je fais de mieux pour préserver ma santé mentale" explique la jeune femme de 33 ans.

Jonathan, 46 ans, a adopté la même stratégie.

"C'est comme une mauvaise série dont on n'arriverait pas à décrocher. Un épisode, puis un autre et encore un autre. On scrolle, on lit, on écoute, on regarde tout. À la fin, on ne sait plus si on vit dans le réel ou dans un film d'horreur. Alors, pour éviter d'être trop déprimé, je coupe".

Ces deux-là sont loin d'être des cas isolés. 

De plus en plus de Français décrochent de l'actualité et de l'information 24h/24.

Ils coupent les notifications, baissent le volume de la radio, zappent les chaînes d'information, évitent les marchands de journaux et magazines.

Ne plus savoir, ne plus voir, ne plus entendre.

Ils s'en moquent ?

Non !

Les Français veulent juste préserver un semblant de sérénité. 

En 2022 déjà, 50% disaient souffrir de "fatigue informationnelle".

Trop d'alertes, trop de drames en rafale, trop de polémiques.

Et pas le temps de souffler. 

Aujourd'hui, 34% des Français disent ne plus supporter la violence des débats.

32% évoquent le manque de fiabilité des informations.

31% pointent l'effet négatif de l'information sur leur moral. 

Plutôt que de subir, ils préfèrent s'éloigner.

Derrière cette décision, une autre rupture se dessine : celle de la confiance. 

Seuls 29% des personnes interrogées croient ce que disent les médias.

La "fatigue informationnelle" est-elle un symptôme de notre siècle ?

Non.

Ce vertige ne date pas d'hier. 

Dans les années 60, Bertram Myron Gross, sociologue, observait déjà ce phénomène.

Dans les années 70, Alvin Tofflern chercheur,  reprenait le concept.

Bien avant l'invention des chaînes d'information en continu, la courbe de production de nouvelles s'emballait déjà. 

Une crise en chassait une autre.

Un scandale effaçait le précédent.

La boulimie d'actualités laissait derrière elle une sensation de trop-plein.

En 1981, Edgar Morin, sociologue, posait les mots justes sur ce mal.

"Il est étonnant que l'on puisse déplorer une surabondance d'information. Et pourtant, l'excès étouffe l'information, quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d'événements sur lesquels on ne peut méditer, parce qu'ils sont aussitôt chassés par d'autres événements. Ainsi, au lieu de voir, de percevoir les contours, les arêtes de ce qu'apportent les phénomènes, nous sommes comme aveuglés par un nuage informationnel".

Depuis, la cadence n'a fait qu'accélérer. 

En trente ans, l'humanité a produit plus d'informations qu'en deux mille ans d'Histoire.

Un volume qui double tous les quatre ans.

Le problème est que le cerveau humain n'est pas conçu pour suivre ce rythme. 

"Depuis Internet, nous vivons dans l'illusion que nous pouvons tout savoir, tout le temps. Sauf que c'est biologiquement impossible" affirme Benjamin Kerber, psychologue clinicien.

"Contrairement à nos habitudes sur X, Instagram ou TikTok, où l'on enchaîne les contenus en quelques secondes, le cerveau a besoin de temps pour assimiler une information avant de pouvoir en absorber une autre. Résultat, nous accumulons du savoir sans jamais le digérer. Nous empilons des faits dont nous ne retenons que les titres chocs".

La première fois que Pauline a coupé net les médias, c'était après les attentats du 13 novembre 2015. 

"Quelques semaines plus tard, je suis partie en Islande avec des amis. On n'avait presque pas de connexion Internet et je me suis rendu compte que ça me faisait du bien. Alors, depuis, quand c'est trop, je coupe".

Pour Laurence, 52 ans, ça a commencé pendant le premier confinement. 

Déjà anxieuse de nature, elle a senti la panique monter au fil des jours. 

Les courbes qui grimpaient, les chaînes d'info en boucle, les alertes qui s'empilaient sur son téléphone. 

Alors, elle a quitté la ville pour trouver refuge chez des amis à la campagne.

Là-bas, elle s'est fixé une seule règle : ne lire que l'essentiel. 

Juste ce qu'il fallait pour comprendre les restrictions, savoir ce qu'elle avait le droit de faire ou non. 

Rien de plus. 

"J'ai arrêté d'actualiser les chiffres, d'écouter les avis d'experts, qui se contredisaient d'un jour sur l'autre. J'ai respiré".

Dans un monde où tout peut basculer d'une heure à l'autre, pour beaucoup l'information devient une injonction. 

Il faut suivre, comprendre, anticiper. 

Alors, l'attention se fige sur l'essentiel : ce qui inquiète, ce qui menace, ce qui peut encore empirer.

"Lorsqu'on est exposé en continu à des nouvelles anxiogènes, notre cerveau se focalise naturellement sur les plus alarmantes. On ne hiérarchise plus, on subit" explique Benjamin Kerber. 

"À force d'être confronté à des récits traumatiques, notre corps réagit comme s'il était lui-même en danger. Voir d'autres humains pris dans la violence active nos neurones miroirs. On se met à ressentir leur souffrance, parfois sans même en avoir conscience. L'exposition répétée aux images, aux récits, peut réactiver de la douleur. Comme une plaie qui ne cicatrise jamais vraiment".

De ce fait, face à l'avalanche d'informations, certains cherchent des issues de secours, des réalités plus légères. 

Jonathan enchaîne les concours de cuisine. 

Un plat raté, un candidat éliminé, un rebondissement en fin d'émission.

Çà lui suffit.

Pauline penche plutôt pour "Koh-Lanta".

"J'accompagne surtout des jeunes et aucun ne me parle d'actualité. Pas un. La politique ne semble plus les intéresser. Quand j'étais ado, on allait bloquer les grilles, on organisait des manifs, on débattait dans les couloirs du lycée. Aujourd'hui, c'est comme si tout ça n'existait plus" ajoute Benjamin Kerber.

Alors ?

Décrocher est-il devenu un luxe ou une nécessité ?

Peut-être que l'essentiel n'est pas de fuir l'information, mais savoir quand y revenir.

Chacun à son rythme.

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