30/09 ▒ LIRE ▒ "On n’a pas le droit de montrer de faille".
Celle du mal-être, des angoisses, et des failles.
À ce sujet, un livre fait parler de lui, depuis quelques semaines, dans la profession.
Celui de Matthieu Josse.
Dans "Sauver sans périr : la face cachée des pompiers", il parle sans tabou de ses traumatismes après vingt ans d’exercice en tant que sapeur-pompier professionnel.
Après une opération de secours particulièrement éprouvante auprès de deux adolescents électrocutés, il a craqué moralement.
Après plusieurs mois d’arrêt maladie et un an en mi-temps thérapeutique, il vient tout juste de reprendre pleinement son activité.
Il explique ce qui a motivé l'écriture de livre.
Extraits.
"En tant que pompier, on absorbe les choses en pensant que ça ne ressortira pas. Au pire, on repense à un événement pendant une nuit ou deux, mais ensuite ça passe. On enferme ça au fond de nous. Sauf que là, après cette fameuse intervention, j’ai senti que ce n’était pas normal, qu’il n’y aurait pas de pansement assez gros pour stopper cette hémorragie. J’ai entamé une thérapie et tout un tas de questions et de souvenirs me sont parvenus. Des cauchemars, des pensées. J’ai alors compris que, pendant vingt ans, j’avais accumulé trop d’émotions sans avoir pris soin de vider ce sac à dos de temps en temps. J’étais bouleversé psychiquement avec tous les symptômes du stress post-traumatique. Un phénomène qui peut aussi se produire après une exposition chronique au stress. On ne m’en avait jamais parlé quand je suis rentré en tant que pompier".
"Lors de cette intervention, en plus du jeune âge de la victime, c’est le sentiment d’impuissance qui a majoré ma souffrance. La psychologue m’a dit après coup que le fait d’être présent et de tenir une main aide. Mais, en tant que pompier, on est habitué à l’action et à réaliser des gestes. À ce moment-là, je n’ai rien pu faire. C’est une émotion horrible à vivre, qui a clairement amplifié mon mal-être".
"Avec les collègues, on reparle parfois des interventions les plus dures, mais on ne rentre jamais en profondeur. Je ne vais pas leur dire que j’ai des pensées envahissantes, que je n’écoute plus mon épouse à la maison, car je suis ailleurs. Et chez soi, c’est pareil, on a envie de tout balancer à sa moitié, mais on veut aussi l’épargner".
"Je crois que je l’ai écrit ce livre au bon moment, car c’est un sujet qui émerge, mais qui manque encore beaucoup de données ou d’études. La grosse lacune, c’est qu’à aucun moment, on ne nous apprend à coordonner notre vie privée et notre vie de secouriste. À 18 heures, on va être appelé pour un enfant qui s’est étouffé et à 19 heures 15, on va retrouver les siens, sans transition. L’aspect, gestion du stress, est encore trop peu développé. Il y a certes des cellules d’aide médico-psychologiques, mais il y a un cheminement personnel du sapeur-pompier à faire qui n’est pas encore présent. Un peu comme chez les soignants. Il faut reconnaître de ne pas aller bien, mais dans ce milieu un peu macho, où l’on n’a pas le droit de montrer de faille et où le regard des autres est important, c’est parfois difficile".
"J’appréhendais pas mal, quand j’écrivais. Savoir si j’allais assumer. En fait, il y a un retentissement vraiment inattendu, que ce soit chez les collègues ou dans la hiérarchie. Je reçois tous les jours des mercis de la part de pompiers, qui ont besoin de se délester du poids de ce costume de super-héros, de se sentir aussi hommes, avec leur humanité. D’autres se posent, comme moi, la fameuse question de la distance à mettre. Comme cette femme un peu perdue qui m’écrivait : on nous demande d’être empathique, mais de ne pas tomber dans la sympathie, de comprendre les émotions et en même temps de ne pas se mettre à la place des victimes, de garder sa vitalité tout en recevant leur mal-être. C’est très compliqué".
"Bref, je ne suis pas psychologue, mais tout le monde se livre à moi. Certains me disent qu’ils hésitaient à aller consulter et qu’après avoir lu le livre, ils vont le faire".
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