23|10 ➯ CULTURE ➯ Et vous ? Quel barbare vous fait craquer ?

Il y a le Mage, l’Elfe, le Nain, etc...

Pourtant, tous n’ont d’yeux que pour… 

Le Barbare ! 

Le jeu de figurines culte, "Hero Quest" connaît une réédition triomphale et très fidèle à son système de jeu et son design des années 90. 

Autour de la table, au moment de choisir leur personnage, les jeunes joueurs de 2022 sont comme ceux de ces années-là.

La question est : qui va avoir l’honneur de jouer Rogar le Barbare ?

Avec sa grande épée et son physique impressionnant, le personnage fait l’unanimité malgré la concurrence des autres figurines.

"Il est plus puissant. C’est lui qui frappe. C’est plus amusant que de lancer des sorts" analyse Paul, dix ans.

Adrien, 15 ans, est du même avis.

"Le Nain et l’Elfe sont sympas, mais jouer un barbare, c’est plus amusant. On n’est pas obligé de réfléchir et de jouer tactique. On peut juste foncer dans le tas".

L’attrait de ces jeunes fans pour un barbare musclé en slip de peau de bête fait écho à une tendance plus générale.

Qu'on le veuille ou non, le barbare a le vent en poupe.

"Netflix", avec une série animée, et "Mattel", avec une nouvelle gamme de jouets, ont ressorti les "Musclor" de la naphtaline. 

Aujourd'hui, "Conan le Barbare" est l’objet de nombreux projets.

Si ce dernier connaît un retour en grâce, il y a aussi toute la galaxie des franchises actuelles, qui mettent en avant la gloire du barbare. 

"Game of Thrones" et ses sauvageons du Nord.

"Star Wars" et ses nouveaux barbares. 

Dans la série, "Le Livre de Boba Fett", les Tuskens ne sont plus d’anonymes sauvages sanguinaires, mais un peuple nomade avec sa culture et ses traditions.

Cet étrange rapport amour-haine pour les barbares ne date pas hier.

Bruno Dumézil, historien, est un passionné.

"La définition du terme barbare est très simple dans l’Antiquité. Il désigne tous les peuples qui ne sont pas romains. Plus tard, le terme a pris d’autres sens, mais il a gardé cette idée de peuples extérieurs à nous. Le barbare représente l’altérité".

Une exposition au "Musée d’Archéologie Nationale", dans les Yvelines, propose de mieux connaître un célèbre barbare : Clovis.

"Clovis a été perçu comme un barbare qui a réussi à partir du XIXème siècle. Mais, il était un général en chef et consul en Gaule. Il était romain et même membre de l’aristocratie romaine. Pour des raisons nationalistes et idéologiques, on a fait de Clovis le symbole du barbare qui fait le choix de devenir chrétien et français".

Pour les Français d’aujourd’hui, Clovis est encore "ce barbare devenu roi".

Un cliché qui date, selon Bruno Dumézil.

"Dans les livres d’histoire de la IIIème République, Clovis est présenté comme un personnage un peu enfantin, spontané. Mais, comme il a bien écouté à l’école, il devient roi. C’est ça l’histoire qu’on raconte aux enfants. On utilise la figure du barbare qui s’extirpe de sa condition pour éduquer les jeunes enfants".

Alors ?

Quel rapport entre Conan le Barbare, Rogar le pourfendeur d’orcs et Clovis ? 

Leur profondeur cachée. 

Autour de "Hero Quest", la partie vire souvent au jeu de rôle. 

Et derrière ses muscles bandés, le Barbare cache souvent un cœur d’or.

"En fait, c’est sa mère qui lui a appris à manier son épée avant de mourir et il est devenu guerrier pour protéger ses petites sœurs" imagine Laura, 12 ans.

"C’est le propre du barbare d’être plus positif que ce qu’il ne paraît" insiste Bruno Dumézil. 

"Dans la pop culture, mais avant ça, chez Tacite ou Montaigne, la barbarie est positive. Le barbare est plus proche de la nature. Il commet des meurtres naturels . Et pour ces raisons, ça fait bien d’avoir du barbare dans son arbre généalogique. Les civilisations tiennent à avoir des ancêtres dynamiques. On fantasme sur leur part de sauvagerie, mais aussi sur leur lien avec la nature, sur leur bon sens. Avant Clovis, Vercingétorix a représenté cette part barbare de nous-même que la civilisation a su canaliser, raisonner".

En attendant une série "Netflix" sur Clovis ou Vercingétorix, on peut regarder la saison 2 de "Barbares".

On y suit des barbares germaniques qui combattent l’envahisseur romain. 

Si elle n’a pas encore le succès de "Vikings", la série repose sur le même procédé.

"En ce moment, il y a une passion pour les Vikings, qui représentent les barbares parfaits : violents, dominateurs et païens, mais aussi blancs et donc facilement appropriables par les Européens" analyse Bruno Dumézil.

En outre, on ne compte plus les œuvres et études sur les Vikings.

Parmi elles, dans un registre humoristique, Wilfrid Lupano et Ohazar ont publié le premier tome de la bande dessinée, "Vikings dans la brume".

Je me suis intéressé aux Vikings pour le côté civilisation disparue" explique Wilfrid Lupani. 

"Nos Vikings vivent la fin de leur civilisation, qui va être englobée dans quelque chose d’autre : le christianisme. L’humour naît du décalage entre des gens issus d’une civilisation prédatrice et violente en rupture avec le nouveau monde. Ils sont perdus, leurs valeurs ne signifient plus rien. J’y vois un parallèle avec notre civilisation capitaliste et sa violence absurde".

Pour que cette approche des barbares fonctionne, Ohazar, dessinateur, a pris sa tâche très au sérieux.

"Quand on fait des gags avec des barbares, c’est facile de les caricaturer. J’ai trouvé plus intéressant, au contraire, de coller au maximum à la réalité historique. Dans les tenues, dans les coutumes. On rend hommage à cette civilisation, qui a navigué jusqu’en Amérique bien avant tous les autres Européens. Ils ont disparu, mais les Vikings ont réalisé de grandes choses. Ils ne faisaient pas que boire dans des crânes !".

Historiques ou issus d’un monde fantastique, les barbares en disent beaucoup sur nous, les civilisés de 2022.

"Les études sur les barbares ont toujours servi à une autodépréciation des civilisations, qui produisent ces études" explique Bruno Dumézil. 

"En parlant des autres, on parle de soi. En voyant une pureté chez les barbares, que nous aurions, nous, perdue, on s’apitoie, on se culpabilise. C’est un discours dangereux, utilisé notamment par les nazis, qui ont cherché une ascendance glorieuse chez les peuples païens". 

Du barbare qui sommeille en nous au barabre qui nous révèle à nous-même, la figure mythologique mérite mieux qu'une caricature. 

Une jeune passionnée de "Hero Quest" résume très bien le sujet.

"Il est étrange son visage. On ne sait pas trop si il rigole ou si il pleure". 

Tout est dit.

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