15/09 ▒ SOCIÉTÉ ▒ De la difficulté d'être LGBT à la campagne...
Après le suicide de Caroline Grandjean, directrice d'école d'un petit village du Cantal victime de harcèlement lesbophobe, des LGBT ont décidé de prendre la parole.
Principalement, pour évoquer les difficultés de vivre leur sexualité en milieu rural.
Elles témoignent du manque de représentation et du besoin d'exister dans l'espace public pour favoriser leur acceptation.
"Les menaces de mort que Caroline Grandjean a subies, ce sont des témoignages qu'on reçoit aussi à l'association de la part de personnes queer, qui vivent en ruralité" témoigne Hugo, trésorier de "Queers des champs", en Occitanie.
Toutefois, c'est un constat qui ne constitue pas une généralité sur l'acceptation des LGBT dans les campagnes.
Les actes commis contre la communauté LGBt sont principalement recensés dans les grandes villes.
"Il y a un présupposé selon lequel il y aurait plus de LGBTphobies à la campagne, mais j'ai été victime de plus de lesbophobie dans l'espace public quand j'habitais à Lyon" assure Maurianne, qui vit dans un village de Saône-et-Loire.
La jeune femme observe surtout de la "méconnaissance sur le vécu des personnes LGBT".
"Je tente de la balayer en acceptant la discussion. À la campagne, il y a davantage d'interconnaissance. On connaît au moins quelqu'un qui connaît quelqu'un. Ce qui autorise les gens à poser plus de questions. Il y a une injonction à la pédagogie qui est plus forte, mais à laquelle je réponds volontiers".
"Dans nos petits villages, on ne peut pas avoir l'anonymat des grandes villes" souligne Pauline qui vit dans l'ouest de la France.
"À Paris, il est rare qu'on croise deux fois les mêmes personnes. Ici, c'est une vraie chance pour exprimer pleinement qui on est. Ici, tout le monde se connaît".
Ceci dit, Pauline et son épouse doivent composer avec "certains regards insistants" et "les petites remarques entendues au loin".
"Nous avons décidé de continuer de nous tenir la main dans la rue et même de nous embrasser devant la sortie de l'école, quand nous allons chercher notre enfant. C'est important pour nous d'imposer notre état, de montrer qu'on est là et qu'on va y rester".
En milieu rural, le poids des regards est accentué par la sensation d'être une exception.
"Dans le fond de ma vallée des Pyrénées, le dogme de la famille hétérosexuelle est très fort. Tout ce qui sort de cette norme n'est pas très bien perçu" raconte Marilyn, qui vit dans un petit village.
"Les premières insultes, qui fusent pendant les fêtes de village, sont des propos homophobes. Depuis chez moi, j'ai entendu mes voisins se plaindre qu'il y avait des homos partout. Pour me protéger, je préfère être discrète".
Dans le Lot, Jérôme s'est "mis dans une carapace face à l'homophobie ordinaire".
"En règle générale, derrière les propos maladroits, il n'y a pas de méchanceté" veut croire cet homosexuel de 60 ans.
"Toutefois, il faut rester dans les clous pour se faire accepter. Je sais que je ne devrais pas dire ça, qu'il faudrait qu'on puisse être libre de circuler comme bon nous semble".
En Seine-Maritime, Aurélien regrette que des LGBT préfèrent ne pas se montrer et s'extraire de la vie communale.
"Il y a des couples qui s'installent dans des villages et pour qui ça se passe très bien. Mais, souvent parce qu'ils ne sont pas visibles. On est dans une société qui tolère les personnes queer tant qu'elles ne sont pas trop visibles. Je le perçois dans les propos qu'on nous adresse : Vous faites ce que vous voulez, mais chez vous, dans votre chambre".
Les représentations LGBT sont donc moins nombreuses que dans les grandes villes.
Tout comme les espaces pour se retrouver.
"C'est plus compliqué de créer une vie communautaire dans les villages et les petites villes. Dans les environs de Fécamp, il n'y a pas de bars ou de lieux qui nous sont dédiés. On met aussi du temps pour trouver des endroits sécurisés, pour s'assurer que le gérant va nous accepter. C'est tout un travail de préparation du terrain en amont" analyse Aurélien.
Sacha a fait son coming-out transgenre il y a sept ans.
"Ça n'a pas été facile. D'autant plus dans ce milieu rural" confirme l'homme de 54 ans originaire du Sud-Ouest.
"J'ai le sentiment qu'il faut être beaucoup plus fort ici plutôt que dans une grande ville. Il ne faut pas s'attendre à avoir une vie sociale très développée. Dans un désert rural, tout est plus compliqué. Y compris pour être accompagné dans sa transition. Une gynéco m'a dit dans la salle d'attente, devant tout le monde, qu'elle ne recevait pas les hommes. Je ne sais pas si les soignants en ville sont tous plus formés, mais je me dis qu'il y aurait au moins quelqu'un parmi eux capable de me prendre en charge".
Finalement, pour trouver une communauté et un accompagnement, certains choisissent l'exode vers les métropoles.
"La plupart des jeunes queer se dit qu'il n'y a rien qui les retient à la campagne" analyse Aurélien.
Lui a décidé de rester dans le village qu'il l'a vu grandir.
"Pourquoi ça serait à moi de partir ? Pourquoi ça serait à moi, personne LGBT, de m'expatrier, parce qu'on ne m'accepte pas pleinement ici ?".
"La première chose que j'ai ressentie après le suicide de Caroline Grandjean, c'est le sentiment qu'on disait à tous les petits gays et lesbiennes du Cantal : Fuyez l'Auvergne ! L'Auvergne, ce n'est pas ça. Je ne dis pas que le Cantal est le lieu le plus facile à vivre quand on est queer, mais j'aimerais qu'on change la focale. Le problème, ce n'est pas le Cantal et ses habitants, c'est la lesbophobie de la société" s'indigne Maurianne.
"Questionnons-nous ensemble sur comment on outille nos campagnes".
Heurseusement, bien que longtemps cantonnés aux villes, les organisations et événements LGBT gagnent les zones rurales.
Ces dernières années, les "Marches des Fiertés" sortent des grandes villes.
Et, bien souvent, elles attirent beaucoup plus de monde que prévu.
"La nouvelle génération, qui a grandi à la campagne, a envie d'être plus militante et d'exister" conclut Aurélien.
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