24/03 ▒ LIRE ▒ "S’attaquer aux personnes trans, c’est porteur aujourd’hui".

C'est la première enquête journalistique sur la désinformation et les discriminations transphobes. 

Travaillant sur les questions de discriminations, de genre et de santé depuis 2019, Élie Hervé, journaliste, vient de publier "Transphobia".

Il y analyse comment la mécanique de la désinformation nourrit les discours anti-transgenres. 

Des discours qui ont des conséquences bien réelles dans la vie des personnes concernées.

"S’attaquer aux droits des personnes trans, c’est porteur aujourd’hui" souligne-t-il. 

"Et c’est un sujet soumis à beaucoup de désinformation pour créer des paniques morales et faire peur aux gens".

Élie Hervé évoque principalement trois cas qui montrent les ressorts de ces discours transphobes.

À la fin de l’été 2022, une campagne de désinformation cible le "Planning familial" et l’artiste transgenre, Laurier The Fox. 

La raison ?

Un dessin destiné à montrer que les hommes transgenres peuvent être enceints et accueillis dans les centres de l’association, s’ils ont des questions sur la contraception, l’avortement, la grossesse ou le suivi médical de leur transition.

Créer une polémique, occuper l’espace médiatique et politique et rendre inaudible les personnes transgenres : Élie Hervé analyse les étapes de cette campagne de désinformation.

C’est d’abord des personnalités d’extrême droite et des militantes anti-transgenres qui vont dénoncer cette affiche vue comme de "l’idéologie du genre".

La confusion sur l’identité de genre est entretenue.

Le but est de présenter un homme transgenre comme un homme cisgenre et de dire que cela va à l’encontre de la réalité biologique. 

Des personnalités de droite, puis une partie des médias s’emparent de la polémique. 

Nadine Morano interpelle la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.

"Merci de nous préciser par quelle voie un homme enceint accouche ?" écrtit-elle.

"Effectivement, les hommes cisgenres ne peuvent pas accoucher, mais ce n’est pas du tout le cadre de l’affiche" analyse Élie Hervé. 

"La polémique a été créée de toutes pièces. Mais, c’est aussi une façon d’avancer un projet politique qui est beaucoup plus vaste et dans lequel on va s’attaquer à des associations féministes, qui défendent l’avortement, et aux subventions qu’elles reçoivent".

Dans son enquête, il souligne que cette même stratégie va être mise en place en 2024, lors des Jeux Olympiques de Paris, en lui donnant une dimension internationale. 

Là aussi, une polémique va être lancée à partir d’une fausse information.

Imane Khelif, boxeuse algérienne, serait un homme et le combat contre son adversaire italienne aurit été déséquilibré en raison de leurs différences physiques.

"L’identité de genre d’Imane Khelif est niée principalement par racisme et transphobie" affirme Élie Hervé dans son enquête.

Là encore, l’espace médiatique et politique est saturé par les conservateurs et l’extrême droite.

Jusqu’à Giorgia Meloni, Elon Musk, Donald Trump.

Le "Comité International Olympique" soutient Imane Khelif et réaffirme qu’elle est une femme et peut concourir en "catégorie féminine".

"Le fait d’être trans est considéré comme une insulte. Et donc, on va utiliser ça pour la décrédibiliser, alors que tout est faux" explique le journaliste.

Celle qui a gagné la médaille d’or a intenté une action en justice pour "cyberharcèlement aggravé".

Dans le domaine de la transphobie, c’est souvent sous couvert de protection des mineurs que des peurs sont agitées. 

C’est le cas avec l’interdiction de la "Marche des Fiertés" en Hongrie.

C’était aussi l’argument utilisé par les défenseurs de la proposition de loi visant à interdire les transitions aux mineurs en France.

Celle-ci a été adoptée en première lecture au Sénat en mai 2024.

Elle interdit notamment d’utiliser son prénom d’usage à l’école ou limite l’accès aux hormones et bloqueurs de puberté.

L'an dernier, Élie Hervé avait révélé que le rapport qui a servi de base à cette proposition a été coécrit par Céline Masson et Caroline Eliacheff. 

Ces deux psychanalystes militent contre les transitions de mineurs.

"La sénatrice, Jacqueline Eustache-Brinio, s’est basée sur ce collectif anti-trans pour son rapport. Les cofondatrices ont reconnu en interview qu’elles avaient coécrit le rapport, qui est donc complètement biaisé" selon Élie Hervé.

Autres problèmes : les associations et personnalités anti-transgenres sont très présentes lors des auditions au sénat, alors que seules deux associations, travaillant avec des mineurs transgenres, ont été entendues. 

En outre, elle affirment que leurs propos avaient été déformés, enregistrement à l’appui. 

La sénatrice, qui était déjà opposée à la constitutionnalisation de l’IVG ou à l’ouverture de la PMA aux femmes seules, n’a pas jugé nécessaire d'entendre des mineurs transgenres.

"Elle m’a dit que ce n’était pas son rôle. Ce qui est quand même assez paradoxal quand on fait une loi pour interdire les transitions de mineurs" insiste Élie Hervé.

"Ici, la stratégie de désinformation, c’est de créer du doute sur des consensus scientifiques concernant les transitions médicales. Pourtant, la plupart des études cliniques menées depuis plus vingt-cinq ans montre les impacts positifs des prises en charge médicales des adolescents transgenres sur leur devenir psychologique. Cela permet d’éviter des états dépressifs, des tentatives de suicide ou des suicides".

Le texte va-t-il être mis à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale ? 

Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, avait soutenu la proposition de loi quand il était sénateur.

"Savoir si ce texte va être réétudié ou pas, et quelle va être la position du gouvernement, ça reste une épée de Damoclès au-dessus de la tête des personnes mineures transgenres" conclut Élie Hervé.

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