27/06 ▒ SEXUALITÉ ▒ "Un côté : je fais comme dans les films pornos".

Jus d'orange et bonbons, drogues à volonté, hommes dénudés, sexe à n'en plus finir.

David, Julien, Hugo et Alexandre évoquent leurs soirées "chemsex".

Pratique sexuelle en plein essor dans la communauté homosexuelle, malgré des risques d'overdoses parfois mortelles.

Le principe de ces "plans chems" est la rencontre d'homosexuels pour des relations sexuelles à plusieurs, durant lesquelles tous types de substances psychoactives sont sniffées, ingérées, injectées, afin de démultiplier désir et performance.

Parfois, pendant plusieurs jours de suite.

"Le sexe y est fou, débridé. C'est bien sûr lié à la drogue, mais aussi à tous les fantasmes qui, d'un seul coup, s'assouvissent. Il y a un côté jouissif à la transgression et un côté : je fais comme dans les films pornos" explique David, psychologue de 54 ans.

Il fréquente ces soirées depuis une quinzaine d'années.

"C'était une ouverture par rapport à mon éducation religieuse et sexuelle et à l'idée de faire couple inculquée par ma famille. Avec les soirées chemsex, s'ouvrait à moi un monde de tous les possibles, où le sexe ne se faisait pas qu'à deux. C'était tellement excitant !".

Et d'évoquer le même scénario à chaque fois.

Une ambiance bienveillante mise en place par celui qui reçoit.

Jusqu'à une douzaine d'homosexuels présents.

"Quand on arrive, on se déshabille et il faut être immédiatement dans l'action. Lors des pauses, on fume une clope, on partage un jus d'orange, des bonbons. Il n'y a jamais d'alcool, car ça peut être dangereux avec certaines drogues".

Hugo, 42 ans, est employé de supermarché.

Il évoque "deux années intenses", durant lesquelles il a "plongé dans un monde extraordinaire le week-end".

"Il y a un côté émerveillement. Comme un gosse qui découvre Disney. Tu sociabilises, tu couches avec les meilleurs coups, tu fais plus de rencontres. Ça abaisse les barrières. Il n'y a pas de jugement, pas de critique. J'étais sur un petit nuage, un autre monde, sans redescendre. Je ne pensais qu'à ça. Le lundi, je pensais déjà au vendredi. J'avais une addiction à l'ambiance. C'était comme aller au casino. Il me fallait ma dose de frisson".

Sauf que...

L'aventure peut vite mal tourner. 

En témoignent cinq overdoses liées au "chemsex" en mars-avril 2024 dans la seule ville de Bordeaux, en Gironde.

Dont trois mortelles.

Souvent achetées sur internet et livrées jusque dans la boîte aux lettres, les drogues sont difficilement traçables.

"La pratique s'est démocratisée. Il y a une tendance nationale au développement de ce type de drogues récréatives" souligne une source policière.

"Ça vient souvent des Pays-Bas. On peut commander ces produits sur le darknet".

En France, l'essor du "chemsex" dans le milieu homosexuel intervient dans les années 2010.

Selon une étude, aujourd'hui, cette pratique  concernerait environ 20% des homosexuels.

Initialement cantonnée aux villes, elle devient de plus en plus rurale avec un rajeunissement des profils.

À Bordeaux, c'est l'heure d'ouverture du "Crunch", sauna masculin et bar de nuit. 

Plusieurs panonceaux rappellent que "les stupéfiants sont prohibés".

"Les consommateurs de drogues, c'est difficile de les repérer à l'entrée" reconnaît Jess Royan, gérant de l'établissement.

"Il arrive qu'on retrouve parfois des seringues dans les cabines. Aujourd'hui, un mec qui n'en prend pas apparaît presque comme pas normal. Ici, une fois par semaine ou une fois par mois, un client sous l'emprise de stupéfiants fait un malaise. Le mec tombe et on doit appeler les pompiers. Le mélange de drogue, d'alcool, de chaleur, de bruit...".

Julien, âgé de 42 ans, a déjà "joué avec le feu".

"Pour ma génération, qui a accès à la PrEP, on se dit : allez, vas-y, fais-toi plaisir sans capotes. J'ai même parfois eu des rapports sans PrEP et avec des gens qui étaient séropo. Je suis conscient de ma chance d'être passé au travers".

Il confie s'être fait piquer à son insu dans une soirée chemsex.

"Je suis tombé dans un black-out total".

Ce phénomène de perte de conscience et de mémoire, Alexandre, 31 ans, connaît.

Il a commencé à consommer des produits il y a une dizaine d'années.

Un soir, il mélange par mégarde alcool et GHB.

"Il a suffi d'une micro-goutte, un fond, pour que je tombe. Je l'ai senti arriver. J'ai eu la présence d'esprit de dire à mon pote que ça n'allait pas. Je suis allé dans la chambre et j'ai dormi pendant huit heures".

"Pour éviter ce phénomène, il faut noter les heures de prises de chacun et veiller sur autrui" explique Hugo.

Si souvent les conditions sont amicales, il évoque aussi des "soirées sans bienveillance, entre perversité et participants qui ont du mal à avoir des plans cul ailleurs".

Outre les risques d'overdose, le "chemsex" peut entraîner une fatigue intense, avec des effets de déprime, d'anxiété et de paranoïa.

"Surtout chez les populations bien insérées socialement et peu habituées aux drogues" insiste Jean-Michel Delile, psychiatre-addictologue.

"Ces pratiquants sous-estiment la dangerosité et le risque de s'accrocher. Au départ, certains pratiquants peuvent consommer comme une aide à passer à l'acte. Mais, un écart abyssal se crée bientôt entre leur motivation initiale et la réalité à laquelle ils sont arrivés. C'est à dire ne plus avoir de relations sexuelles et rechercher avant tout la prise de produits".

Alexandre témoigne de la dangerosité du "chemsex".

"J'ai connu sept personnes décédées plus ou moins directement à cause de ces produits sur les cinq dernières années. Soit overdose, soit suicide. Dès qu'on a titillé la petite case plaisir, le cerveau en redemande toujours, quitte à casser les barrières sociales, se couper du travail, mentir à sa famille".

De son côté, Hugo admet que "la justice m'a sauvé la vie".

Il a été placé sous bracelet électronique pour "infraction à la législation sur les stupéfiants".

"Seule la justice pouvait m'aider à m'en sortir vu ce que je prenais pour tenir pendant trois jours d'affilée".

De leur côté, David et Julien sont suivis par un "Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues".

"On doit calmer le jeu. On a peut-être été trop excessifs. On revient à des choses plus basiques, qui consistent à jouir de la vie d'une autre façon que par le sexe et les drogues. On a réduit notre consommation" concluent-ils.

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