30/05 ▒ FOOTBALL ▒ "Être fort au moment de faire mon coming-out".
En 2014, Thomas Hitzlsperger devenait le premier footballeur professionnel allemand à révéler son homosexualité.
C'était juste après sa retraite.
Aujourd’hui, il est ambassadeur de l’Euro 2024.
L'occasion de revenir sur son expérience de joueur, son coming-out et son engagement en faveur de la cause LGBT.
Extraits.
"Mon coming-out occupe une place importante dans ma vie, mais j'aime aussi parler des différents aspects de ma vie de footballeur. J’ai été joueur, consultant à la télé et j’ai travaillé à Stuttgart, à l’académie. Pour moi, ça faisait sens car, même si ma carrière a été bonne, je n’ai pas non plus été champion du monde, ni remporté la Ligue des Champions. C'est pourquoi il me paraît intéressant de parler aussi de mon engagement en faveur de la diversité et contre les discriminations".
"J’ai parcouru pas mal de chemin au cours de ma carrière et, ce qui m’importe beaucoup, c’est l’intégrité, mettre en pratique les choses que je dis. Le football n’est pas un milieu forcément honnête et ça me pèse. J’étais ambitieux en tant que sportif. Je voulais avoir du succès. Mais, pas à n’importe quel prix. L’autre aspect, c’est que je fais partie d’une minorité et je ne veux pas me sentir exclu. C’est pour ça que je veux aussi servir de modèle ici et me servir de ma voix. Pas forcément tous les jours, mais au moins quand j’estime que c’est nécessaire. Et j’espère que cela contribue, d’une certaine manière, à améliorer un peu la société".
"J’ai grandi dans une ferme en Bavière, entouré de six frères et sœurs. Ensuite, comme jeune footballeur, mon premier souvenir reste le Mondial 1990 et des joueurs comme Jürgen Klinsmann, Lothar Matthäus et Rudi Völler. C’était mes idoles et je voulais avoir le même succès qu’eux".
"Quand j’ai eu 18 ans, je voulais partir à l’étranger et j’ai signé en Angleterre, à Aston Villa. Là-bas, j’étais un étranger avec tous les clichés qui collaient à la peau des Allemands. Ça m’a profondément marqué d’être confronté à des préjugés, mais c’est ça qui m’a poussé à m’intéresser à une autre culture, une autre langue et à la vie en général. Pas seulement au football".
"J’avais les mêmes centres d’intérêt que mes coéquipiers : les grosses bagnoles, les belles fringues… Par la suite, je me suis rendu compte, qu’en dehors de l’entraînement et des matchs, j’avais suffisamment de temps pour continuer de m’instruire, notamment en lisant. En en parlant avec les autres, j’ai appris qu’ils trouvaient aussi ça intéressant. J'ai senti que j’étais une sorte d’exception".
"Il y a encore une majorité de joueurs qui se donnent à 100% pour le football pendant leur carrière et c’est très bien comme ça. Mais, il y en a aussi pour lesquels ce n’est qu’un job. Je trouve ça bien que chacun puisse décider de la façon dont il performe. Ce qui compte, c’est la performance sur le terrain et la cohésion au sein de l’équipe".
"Mon coming-out ? À cette époque, je n’étais pas sûr de moi. Je ne peux donc pas dire que c’était la faute des autres. En même temps, j’étais certain que si je faisais mon coming-out, j’allais attirer énormément d’attention sur moi, alors que pendant mes dernières années de carrière, j’étais surtout remplaçant. Et ça, ç’aurait été bizarre. C’est pour ça que j’ai attendu d’avoir mis fin à ma carrière. À ce moment-là, je ne jouais plus aucun rôle au sein d’une équipe ou d’un club. J’étais de nouveau moi-même".
"J’étais tellement déboussolé que je ne pensais qu’à l’idée de mal jouer après une telle révélation. Et je ne voulais pas qu’on me voie comme ça, car on aurait immédiatement fait un parallèle entre mon niveau sur le terrain et l’homosexualité. En fait, je voulais être fort au moment de faire mon coming-out et, à l’époque, je ne l’étais pas assez. Je ne dirais donc pas que c’était un manque de courage, parce que le courage peut aussi mener à la destruction, si l’on ne fait pas son choix au bon moment. Si j’avais pris cette décision à l’époque, cela m’aurait peut-être brisé. Avec du recul, c’était donc plus judicieux d’attendre encore un peu".
"Nous vivons dans une société dans laquelle on a le choix de dire ou de ne pas dire que l’on est homosexuel. Beaucoup de gens vivent avec des craintes qui leur sont inconnues et préfèrent ne rien changer jusqu’à ce qu’ils y soient habitués. Je trouve cela dommage mais, de par mon expérience, je peux dire que ça en vaut la peine quand on se fait confiance. Je respecte ceux qui pensent que leur vie deviendra pire après coup et c’est pour ça que je ne force personne. J’essaie seulement de ne donner que des exemples positifs, de servir de modèle pour encourager les autres. Pour moi, c’était la bonne décision à prendre".
"C’est regrettable d’attendre qu’un des meilleurs joueurs du monde révèle son homosexualité pour considérer qu’on assiste à un changement. Si un joueur de D3 allemande ou française le fait, on insistera sur le fait que ce n’est qu’un joueur de D3. Je crois cependant qu’il ne faut pas minimiser le fait que de plus en plus de joueurs, qu’ils soient professionnels ou amateurs, trouvent le courage de dire ouvertement qui ils sont. Cela ne les empêche pas d’être de bons footballeurs. Tous les coming-out ont la même valeur. La société évolue petit à petit et, selon moi, on va dans la bonne direction".
"Si j’avais été conscient d’être homosexuel à 18 ans, ma carrière aurait pris une tournure complètement différente. En ce sens, je suis très content de ne pas l’avoir été pendant longtemps. Peut-être même de l’avoir refoulé. Sans quoi, je n’aurais peut-être pas été un bon footballeur, il faut le dire. Chaque parcours est différent. Certaines personnes savent qu’elles sont gays à 16 ans, moi ça a pris un peu plus de temps. Il faut normaliser le fait que ce cheminement peut être un combat, qu’on est parfois en proie au doute. Ensuite, quand les choses sont claires et qu’on n’a plus peur de la société, c’est le moment de le dire, sans filtre, en insistant sur le fait qu’on mène une vie heureuse. C’est pour ça que j’essaie de m’engager au quotidien".
"J'évite d’associer l’homosexualité et la dépression, comme si les deux allaient forcément de pair. Ensuite, je crois que la différence, c’est qu’on parle beaucoup plus ouvertement de dépression aujourd’hui. Dans le sport, par exemple, la présence de psychologues au sein des clubs est devenue complètement banale. Si les deux sont encore malheureusement considérées comme des faiblesses, il faut souvent attendre d’avoir raccroché les crampons pour révéler son homosexualité, tandis que pour la dépression, on peut en parler en cours de carrière, au même titre qu’une dépendance à l’alcool ou au jeu. Et dans tous les cas, cela aide à normaliser la chose au sein de la société dans son ensemble, même si le football continue parfois de vivre dans une bulle".
"Soyons réalistes. En tant que footballeur, je laisserai sûrement un souvenir aux supporters de Stuttgart et d’Aston Villa. Quand je suis invité dans une école pour parler de lutte contre les discriminations, les enfants ne me voient pas jouer au stade tous les week-ends. Ils ne me connaissent souvent pas. Mais, quand je leur dis que j’ai joué contre Cristiano Ronaldo, je devine quand même une forme de respect de leur part. L’autre aspect m’est très important, quand je sais que mon témoignage a pu toucher des gens et que je peux être vu comme un modèle. Je me sens tout aussi fier quand on me dit que j’ai été un bon joueur et que mon coming-out a aidé quelqu’un".
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