31|03 ➤ LIRE ➤ "Le représentant d’une sorte de libération sexuelle".

Dans "Le Glorieux et le Maudit", Olivier Charneux fait sortir de l'ombre Jean Desbordes, dont la longue relation avec Jean Cocteau, l'œuvre littéraire et le rôle important joué dans la Résistance, ont été trop longtemps ignorés.

Peu de gens connaissent Jean Desbordes.

Il fut auteur de romans et de pièces de théâtre, amant de Jean Cocteau, résistant.

Il est mort sous la torture, tué par la milice française.

Avec ce roman, Olivier Charneux faire revivre le parcours de cet homme si singulier, si moderne dans son approche de la sexualité, si libre.

Cette exploration lui permet de revenir sur les années 30 et 40, la vie LGBT de l’époque, les années d’insouciance et de liberté, mais aussi les années plus répressives.

On y découvre Jean Desbordes, très beau jeune homme au milieu des années 20, qui, dans sa correspondance avec Jean Cocteau, va tout faire pour se rapprocher de l’écrivain déjà célèbre. 

Dans "Le Glorieux et le Maudit", Olivier Charneux ne cache rien de leur addiction à l’opium et à la cocaïne.

Après sept ans de vie commune, Jean Desbordes finira par quitter Jean Cocteau pour se marier.

Puis, arrive la guerre 39-45.

Il rejoint la Résistance et jouera un rôle très important, mais souvent minoré.

Olivier Charneux explique sa démarche et nous dit ce qui l’a conduit à faire sortir de l’ombre cet homme passionné et passionnant.

Extraits.

"Ce livre clôt une trilogie sur l’amnésie face aux injustices faites aux homosexuels. Il y a eu mon roman, Les Guérir, sur les expériences médicales dans les camps. Le second, Le Prix de la joie, sur l’affaire Charles Trenet et sur la loi homophobe, qui a condamné le chanteur en 1963. Ce dernier livre sur Jean Desbordes est né des déclarations d’Emmanuel Macron, suite au décès du résistant, Daniel Cordier. Je cite la phrase exacte du Président : il était libre dans ses amours. Macron utilise une périphrase, comme si le fait que Cordier, résistant, secrétaire de Jean Moulin, était aussi homo, c’est encore tabou !".

"J’ai recherché les résistants et résistantes gays et lesbiennes. Chez les hommes, il y a Jean Desbordes. Mais, la seule information publique sur ce dernier, c’est qu’il était secrétaire de Jean Cocteau, son amant et grand résistant. Il n’y avait pas beaucoup plus d’informations sur lui que ça. J’ai gratté un petit peu et je me suis attaché à cet écrivain".

"J’ai lu les biographies de Cocteau, mais il y a très peu d’informations. Donc, je suis allé à la Bibliothèque historique de Paris, où j’ai trouvé une partie de la correspondance Cocteau-Desbordes. C’était un trésor fabuleux, puisque Desbordes a 19 ans quand il commence à draguer Cocteau dans ses lettres. Cette correspondance va de 1925 à 1929. J’ai aussi lu les rares documentations sur la vie gay de l’époque".

"Cocteau et Desbordes se sont beaucoup drogué et ils dépensaient beaucoup d’argent dans les produits. Cela m’a surpris. Il faut mettre cela en parallèle avec une morale implacable et une censure. Il y a une liberté qui commence à être écorner par le préfet Jean Chiappe, dès 1927. Il ferme les promenoirs de cinémas, il interdit les bals, ce qui contredit cette image des années 30 très effervescentes. J’ai trouvé des archives policières où, lors d’une arrestation, les mots homophobes du flic sont reproduits texto. Pour en revenir à la drogue, elle est fortement présente dans le milieu intellectuel. L’opium servait à s’ouvrir à d’autres mondes, à se relâcher. La cocaïne contrait les effets un peu mollassons de l’opium".

"Même s’il refusait les étiquettes, on peut le dire, Jean Desbordes était bi. Je me suis interrogé sur sa femme. Etait-ce un mariage entre deux personnes homos ? Ils n’ont pas eu d’enfants, mais je n’ai pas eu d’infos là-dessus. Je ne pense pas qu’il se marie pour être dans quelque chose de conventionnel. Il a eu d’autres relations avec des femmes, pendant qu’il était avec Cocteau, mais sans cacher son désir et son goût pour les garçons".

"Après, il y a eu un éloignement certain de Jean Desbordes, qui, sous l’action de sa mère, a voulu s’éloigner de la drogue. Il s’est aussi éloigné des mondanités et de ces grands bourgeois, qui n’étaient pas de son monde. Il a toujours étiquetté comme un grand naïf, mais Cocteau l’a abandonné. C’est certain".

"Il y a eu un double effacement de Jean Desbordes, l’auteur et le résistant. Il arrive dans la vie de Cocteau et les gens l’ont taxé de profiteur. Il a commencé avec un essai poétique et ça lui a causé du tort. Le fait qu’il soit un homosexuel déclaré et déclarant à tout bout de champ le plaisir de la sexualité libre a pu jouer. C’est lui qui a permis à Cocteau de s’émanciper. Desbordes a été massacré, parce que libéré sexuellement. Il y a aussi une différence de classe qui a son importance".

"Pour la Résistance, c'est absolument rocambolesque et très compliqué. Ce sont des Français qui l’ont tué, la Milice française. Ils l'ont torturé et tué. La presse de l’époque a même crié au scandale. Pourtant, la dénonciatrice de Desbordes n’a pas été inquiétée, car protégée elle aussi par les services secrets. Il est parti aux oubliettes. L’essentiel dans cet effacement, c’est sa vie dissolue. Il est toxicomane, il est bi, il aime l’amour charnel, il est protestant et il n’est pas encarté. Il n’est ni gaulliste, ni communiste. Jean Cocteau le reconnait lui-même dans une interview en 1960. Il explique que si Desbordes avait été communiste, il aurait été soutenu. On associe souvent l’homosexualité à la collaboration, mais rarement la Résistance. Il y a eu un nombre important de personnes gays et lesbiennes dans la résistance et on met ça sous le boisseau".

"Pour Desbordes j’aurais pu ajouter qu’il était polyamoureux. Il fait l’amour avec la nature et il aurait été dans cette mouvance de l’écologie queer. La nature, c’est ce qui lui manquait dans le milieu littéraire parisien. Il n’était pas gêné par son corps et par sa sexualité. Il était le représentant d’une sorte de libération sexuelle qui a eu lieu trente ans après lui".

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