30|03 ~ CINÉMA ~ "On leur a toujours dit que ça n’existait pas en Afrique".

Le film s’ouvre sur une scène entre Ali et Saint, deux jeunes amoureux ivoiriens. 

Ils s’aiment, c’est évident. 

Sauf que le mariage de Saint vient mettre un terme à cette idylle. 

Ali l’accuse d’être un "change-couleur".

C'est-à-dire ceux qui travestissent leur identité pour mieux se fondre dans la masse.

Avec "Change-couleur", actuellement disponible sur Arte.tv, Stéphane Olijnyk livre le récit puissant d’un amour impossible dans une société homophobe.

Bourrés d’ambivalences et de fragilités déchirantes, les personnages dépeignent fidèlement la réalité de l’homosexualité en Côte d’Ivoire.

Au Brésil, Stéphane Olijnyk avait déjà réalisé "Ursinho", qui évoquait déjà l'homophobie ambiante dans le pays.

"Avec Change-Couleur, l’idée, c’était de faire un deuxième film qui traite de l’homophobie sur un autre continent. Je voulais montrer comment des personnages homosexuels survivent dans un contexte homophobe. Le rapport entre ces deux films, c’est la volonté de raconter l’homophobie à l’intérieur de la communauté homosexuelle".

Stéphane Olijnyk offre une approche très journalistique de la fiction.

"Avant de raconter une histoire, je vais d’abord me documenter. Je rencontre les gens. Ils me racontent leur histoire et, à partir de là, j’élabore des récits. Ce scénario, je l’ai confronté à mon équipe ivoirienne et ils sont intervenus dans la narration. Et de fait, c’est très ancré dans la réalité".

Au départ, Stéphane Olijnyk voulait tourner ce film au Sénégal, où l’homosexualité est un délit passible de un à cinq ans d’emprisonnement. 

En 2019, il part faire des repérages à Dakar. 

Très vite, il se rend compte que le projet va tomber à l’eau, car personne n’aurait voulu y participer. 

Il a alors été mis en contact avec des personnes en Côte d’Ivoire, où il n’existe pas de délit d’homosexualité.

"Récemment en Côte d’Ivoire, le gouvernement a retiré l’orientation sexuelle des discriminations. Cela veut dire qu’on peut continuer à taper sur les homosexuels et ils ne pourront pas porter plainte".

Stéphane Olijnyk ne voulait pas retourner dans ce pays, car il y avait été victime d'homophobie.

"J'étais parti en reportage avec un journaliste et un cadreur français en tant que chef-monteur. Ils ont découvert sur place que j'étais homosexuel, car je ne jouais pas dans la même cour qu'eux. Il m'ont fait subir un harcèlement constant. Je finissais par en faire des cauchemars. Je tiens à ce film aussi parce qu’il résonne avec ma propre histoire".

Dans "Change-Couleur", chaque scène est un étage de plus dans la violence. 

La famille d'abord, les autres ensuite, et même la communauté homosexuelle.

Tout enferme Ali dans un carcan de mœurs étouffantes. 

Stéphane Olijnyk insiste.

"Le poids de la religion et de la famille sont très puissants. C’est toujours le rapport au groupe qui guide les comportements".

Le réalisateur parle, sans colère mais avec beaucoup de précision, de ces hommes qu’il a rencontrés.

"D’un côté, ces hommes ont envie de vivre leur amour homosexuel. Et d’un autre côté, c’est une maladie. On leur a toujours mis dans la tête que c’était importé de l’occident et que ça n’existait pas en Afrique".

Stéphane Olijnyk parle de la difficulté d’être homosexuel, où que ce soit. 

"Mais, en Afrique, il y a une forme de vigilance qui s’installe. Les homosexuels peuvent être dénoncés par d’autres homosexuels à tout moment. Beaucoup d’entre eux fuient. Je connais des Africains qui vivent en France ou en Allemagne, parce qu’ils étaient en danger chez eux. L’idée, ce n’est pas de donner une leçon de morale aux Africains et de leur dire qu’ils sont en retard, pas assez libéraux, progressifs ou tolérants. C’est une tout autre culture avec, au centre, le groupe, la communauté, la famille, qui sont des entités très puissantes. Et en Afrique, en dehors de la communauté, il n’y a pas d’existence sociale. Les homosexuels deviennent alors des proscrits et des bannis. Ils n’ont plus aucun moyen de subsistance. Ils disparaissent de la société. Leur seule solution est de partir".

Le constat de la situation des homosexuels en Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays, est donc rude.

Ali devient le témoin d’un étau qui enserre les libertés de ces hommes. 

Durant tout le film, on ne le lâche pas du regard, tandis que lui voit tout son monde s’écrouler.

Stéphane Olijnyk ne compte pas s'arrêter là.

Son prochain film sur l’homophobie se déroulera dans un pays du Moyen-Orient. 

Il sait déjà que venir à bout du tournage sera dangereux. 

Ce défi lui plaît.

"Je vais faire ce film parce que, justement, c’est l’impossibilité qui m’intéresse".

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